vendredi, mars 29, 2024
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Iran : des fosses communes détruites pour couvrir les crimes contre l’humanité

Selon des informations récentes, le régime iranien est sur le point de mettre en œuvre des plans visant à détruire les sites des fosses communes du cimetière de Khavaran. Ces projets s’inscrivent dans le cadre d’un processus plus vaste de destruction par les mollahs des preuves du massacre de prisonniers politiques qui a eu lieu pendant plusieurs mois en 1988. La destruction devrait également toucher les tombes voisines d’Iraniens adeptes de la foi baha’ie, dont les familles ont été contraintes d’enterrer leurs morts à Khavaran.

Ces phénomènes ont fait l’objet de déclarations de condamnation répétées de la part de défenseurs des droits humains et de groupes politiques, mais elles n’ont suscité que très peu d’actions de la part de la communauté internationale. En 2017, les Nations unies et Amnesty International ont publié des rapports détaillant la destruction de fosses communes associées au massacre de 1988, et cette dernière a réitéré de nombreuses déclarations antérieures avertissant que cette destruction de preuves menaçait d’empêcher une comptabilisation complète du nombre de morts et de l’identité des victimes des massacres. L’opposition démocratique, l’Organisation des Moudjahidine du Peuple d’Iran (OMPI), qui était la principale cible du massacre, affirme que plus de 30 000 personnes ont été pendues par les « commissions de la mort » qui se sont réunies cette année-là pour annihiler l’opposition au régime.

Le rapport 2017 de l’ONU sur la situation des droits humains en Iran indique qu’en mars de cette année-là, des familles de victimes du massacre ont visité un site à Machad « où jusqu’à 170 prisonniers politiques seraient enterrés » et ont constaté que « la zone auparavant plate avait été recouverte de terre pour créer un monticule surélevé au-dessus de la tombe ». À la mi-mai, des bulldozers auraient été vus en train de travailler sur un projet de construction directement à côté du site de la fosse commune d’Ahvaz… où se trouveraient les restes d’au moins 44 personnes tuées pendant l’été 1988. Le plan consisterait à raser le bloc de béton marquant la tombe et à construire un ‘espace vert’ ou un centre commercial sur le site. »

Bien que des projets similaires aient été identifiés à divers moments et endroits, les rapports presque simultanés de différents sites en 2017 pourraient avoir reflété une poussée élargie pour détruire des sites importants avant le 30e anniversaire des meurtres. Téhéran a diversement interdit les monuments commémoratifs à des endroits et à des occasions spécifiques, mais les militants de l’OMPI et les survivants du massacre de 1988 ont fréquemment bravé ces interdictions afin de se souvenir de leurs proches et de leurs collègues et de demander des comptes à leurs assassins. À ce jour, aucune responsabilité n’a été engagée et, en fait, de nombreux participants au massacre ont été récompensés par des positions de pouvoir et d’influence accrues au sein du gouvernement et des industries privées étroitement liées au pouvoir.

À l’heure actuelle, le chef du pouvoir judiciaire iranien et le ministre de la Justice du régime sont tous deux d’anciens membres des commissions de la mort de 1988 et sont donc dans une position privilégiée pour réprimer les commémorations et les protestations, ainsi que les expressions générales de dissidence contre le régime ou de soutien à l’OMPI. Les conséquences de cette situation ont été évidentes au début de 2018 et vers la fin de 2019, lorsque l’Iran a été secoué par deux soulèvements nationaux que les autorités du régime ont attribués en grande partie à la direction de l’OMPI. Le premier d’entre eux a pris fin au bout d’un mois environ après des dizaines de morts par balles et sous la torture, mais le second soulèvement a suscité une réponse beaucoup plus immédiate et sévère, le Corps des gardiens de la révolution islamique ouvrant le feu sur la foule et tuant environ 1 500 manifestants pacifiques.

Les critiques des politiques occidentales à l’égard de l’Iran ont tendance à décrire ces meurtres comme ayant été rendus possibles par un sentiment d’impunité né de l’absence de réaction internationale sérieuse aux précédentes violations des droits humains, principalement le massacre de 1988. Les militants en exil de l’OMPI ont sensibilisé les décideurs américains et européens à ce massacre alors qu’il était encore en cours, mais dans la plupart des cas, la réponse a été silencieuse ou atténuée, les gouvernements occidentaux s’étant engagés à éviter toute critique particulièrement acerbe afin de ne pas s’aliéner les modérés supposés au sein de la direction du régime.

« L’une des conséquences les plus néfastes de cette politique de complaisance a été d’offrir l’impunité aux meurtriers du pouvoir, dont les crimes ont commencé au début des années 1980, ont atteint un nouveau sommet lors du massacre de 1988 et se sont poursuivis jusqu’à ce jour », a tweeté Mme Maryam Radjavi, présidente élue du CNRI, le 25 avril 2021, citant son précédent discours sur le massacre de 1988.

Néanmoins, les contacts avec les décideurs occidentaux se sont poursuivis après que l’OMPI a commencé à découvrir les sites de fosses communes secrètes quelques semaines seulement après la fin du massacre. Au fil du temps, ces révélations se sont poursuivies au point que des sites d’inhumation ont été identifiés dans au moins 36 villes différentes. On ne sait pas exactement combien de sites ont été détruits depuis qu’ils ont été identifiés, et on ignore encore plus combien ont été détruits avant toute révélation. Mais comme Amnesty International et d’autres défenseurs des droits humains l’ont indiqué à plusieurs reprises, il ne fait aucun doute que les destructions vont se poursuivre dans un avenir prévisible, à moins que les forces en présence, tant en Iran que dans la communauté internationale, ne s’y opposent efficacement.

La perspective d’une telle confrontation a finalement été présentée au régime iranien en septembre 2020 par le biais d’une lettre de sept experts des droits humains de l’ONU qui exigeaient un compte rendu complet des connaissances de Téhéran sur le massacre et ses conséquences. Cette lettre a été rendue publique en décembre après que les autorités du régime ont refusé de répondre et ont ainsi signalé leur intention de continuer à ignorer les questions non résolues tout en faisant pression sur les militants de l’OMPI et les familles des victimes pour qu’ils ne rendent pas les massacres plus visibles.

La lettre des experts reconnaît que cette attitude iranienne dédaigneuse a probablement été favorisée par l’absence d’une réponse internationale proportionnée lorsque les meurtres ont été connus. Cette absence d’action, disent-ils, « a eu un effet dévastateur sur les survivants et les familles ainsi que sur la situation générale des droits humains en Iran et a enhardi les mollahs à continuer à dissimuler le sort des victimes et à maintenir une stratégie de déviation et de déni qui se poursuit à ce jour ».

Toutefois, en reconnaissant les erreurs du passé et en exposant les mesures internationales susceptibles d’être mises en œuvre si Téhéran refuse de s’attaquer lui-même à la situation, les experts des Nations unies ont incité Amnesty International à déclarer que leur lettre marquait une « percée capitale » et un « tournant ». Toutefois, il reste à voir si les Nations unies dans leur ensemble donneront suite à ce potentiel ou si les principaux États membres feront activement pression pour que des poursuites pénales soient engagées devant un tribunal international à l’encontre de ceux qui ont supervisé le massacre de 1988 et sa dissimulation pendant trois décennies.