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Iran : L’échec de la politique européenne

Discours de Mme Edith Cresson, ancien Premier ministre françaisAujourd’hui l’Iran paraît être le seul pays à afficher une idéologie qui est officiellement basée sur l’intégrisme islamiste et qui apporte, en tout cas dans les discours, un soutien au terrorisme au-delà des frontières, et qui d’autre part s’intéresse largement à ce problème de la prolifération nucléaire. Nous avons toute l’étendue du spectre, depuis le terrorisme jusqu’à la prolifération nucléaire.

 

 

Discours de Mme Edith Cresson, ancien Premier ministre français

 

Conférence du CIRET-AVT sur les élections en Iran et leurs conséquences dans le monde, à Paris le 12 juillet 2005

 

 

Je vous félicite d’avoir organisé cette réunion, parce que l’opinion publique est volatile et s’intéresse successivement chaque jour à des faits ou à des problèmes d’actualité et a rarement l’occasion de se poser suffisamment longtemps sur un problème pour pouvoir avoir suffisamment d’informations et essayer d’en faire le tour.

 

Alors pour un pays que nous respectons, qui a une grande civilisation et qui est loin, dans une problématique qui est différente, on a parlé de l’Iran au lendemain des élections présidentielle et puis après les gens on tendance à plus ou moins oublier, et sont sollicités par autre chose.

 

Donc, la tenue d’une réunion de réflexion avec des experts et avec ceux qui sont directement intéressés par ce problème, des Iraniens, avec quelque élus français est un moment où on peut se poser ou réfléchir ou s’interroger sur des questions et avoir des réponses. C’est quelque chose qui est important.

 

Alors ces jours-ci, il y a eu beaucoup d’événements internationaux. Bien sûr nous avons tous été touchés par ces images terribles de Londres, qui nous ont rappelé une menace qui existe sur toutes les villes et sur toutes les capitales européennes. Personne ne peut se sentir à l’abri. En même temps, l’opinion publique n’a pas le temps de se poser pour réfléchir à la menace, pour savoir comment on peut s’y opposer ou  l’anticiper. Mais au moins, quelle est la problématique et quelle est l’attitude que nous devons avoir vis-à-vis de l’Iran.

 

On ne peut pas se contenter aujourd’hui des réactions sécuritaires ou policières pour faire face au développement du terrorisme, pour réfléchir en termes plus généraux. Notre approche, l’approche de la France par rapport à l’Iran, fait partie de ces problématiques.

 

Aujourd’hui l’Iran paraît être le seul pays à afficher une idéologie qui est officiellement basée sur l’intégrisme islamiste et qui apporte, en tout cas dans les discours, un soutien au terrorisme au-delà des frontières, et qui d’autre part s’intéresse largement à ce problème de la prolifération nucléaire. Nous avons toute l’étendue du spectre, depuis le terrorisme jusqu’à la prolifération nucléaire. Toute l’étendue des menaces et il n’est pas anormal de se poser un moment pour essayer de réfléchir.

 

Comme cela a été rappelé tout à l’heure, au cours de ces  dernières années la politique de l’Union européenne a été basée sur ce fameux dialogue constructif avec un certain nombres de critères qui étaient mis en avant pour pouvoir évaluer les éventuels progrès qui étaient fait par l’Iran, c’est-à-dire l’amélioration de la situation des droits de l’homme, l’abandon du soutien au terrorisme, le renoncement au projet d’obtenir l’arme nucléaire, et la cessation d’une hostilité active au processus de paix au Moyen-Orient.

 

Où en sommes-nous après ces huit années de tentative qui partaient d’un sentiment de bonne volonté de la part des responsables de l’Union européenne ? Sur le plan des droits de l’homme, je n’invente rien. Les rapports d’Amnesty International et d’autres organisations de défense des droit de l’homme, expliquent toute sorte de exactions, d’exécutions, de pendaisons publiques, de condamnations à mort, de détentions de journalistes, bien sûr de la répression contre la liberté d’expression et la discrimination contre les minorités ethniques et religieuses. Donc sur le plan des droits de l’homme, c’est proche de zéro en ce qui concerne les progrès. Bien sûr les femmes, vous me permettrez d’être particulièrement sensible sur ce point, les femmes sont particulièrement victimes de cette situation.

 

Selon les rapports des services de sécurité des pays d’Europe et du Moyen-Orient, l’Iran soutient toujours officiellement le terrorisme, menace ses voisins, notamment les pays arabes du golfe persique. Et le secrétaire général du Conseil de coopération du Golfe vient de condamner dernièrement les propos menaçants qui ont été tenus par le porte-parole du ministère iranien des affaires étrangères contre des pays arabes du Golfe. 
Il convient bien entendu de ne pas oublier les déclarations récentes du nouveau président iranien qui a dit le mois dernier, je cite : les vagues de la révolution islamique comptent envahir le monde entier et les signes sont visibles dès à présent. On peut effectivement s’en apercevoir, donc tout cela consiste à produire une menace et la produire ouvertement. Ce n’est pas d’une façon feutrée, ce n’est pas par des moyens souterrains, au moins c’est comme si on déclarait une guerre : on dit je suis en guerre, je m’oppose à vous, vos valeurs ne sont en rien les miennes, et au lieu de se respecter, on a décidé de mettre fin à des systèmes politiques qui ont d’autre valeurs.

 

L’Iran, on le sait, continue à s’opposer activement au processus de paix au Proche-Orient, dont on espère beaucoup, parce que c’est là que depuis tant d’années les problèmes gisent. C’est une situation très difficile et très fragile, c’est-à-dire que tout ce qui viendra contrer cette évolution est extrêmement dangereux, pas seulement pour les rapports internes, mais pour l’ensemble de la région, au cours de ces derniers mois le roi de Jordanie et le Premier ministre israélien se sont plaints tous deux de l’accentuation du soutien apporté par l’Iran aux activités terroristes dans leur pays respectif.

 

Je me permets de revenir sur le dossier du nucléaire particulièrement sensible. Les dirigeants iraniens ont démontré qu’ils n’ont pas l’intention de suivre le modèle libyen pour obtenir la confiance de la communauté internationale. Celle-ci s’inquiète chaque jour davantage des ambitions nucléaires de l’Iran. En réalité pendant 18 ans, le pouvoir iranien a caché à l’AIEA les secteurs de son programme nucléaire. Ce n’est qu’après les dénonciations du Conseil national de la Résistance iranienne en 2002 que l’agence onusienne a pu découvrir certaines dimensions du projet occulte iranien. Selon l’AIEA, l’accord conclu en octobre 2003 entre la troïka européenne et l’Iran pour des inspections surprises n’a pas été respecté par l’Iran à de multiples reprises.

 

Par ailleurs, l’Etat iranien a lancé un défi contre l’accord de novembre 2004, ce qui est perceptible dans les propos même du nouveau président, qui a dit et je cite : il nous appartient de leur imposer nos conditions, ce n’est pas à eux de nous imposer les leurs, au moins ça a le mérite d’être clair.

 

J’ajoute au passage qu’on comprend difficilement en France que l’énergie nucléaire soit nécessaire dans un pays qui a tant de pétrole, mais c’était juste une parenthèse. On sait qu’à partir de l’énergie nucléaire, tous les dérapages sont possibles.

 

Mais il devient plus clair que la politique constructive avec l’Iran, suivie d’une façon imperturbable depuis huit ans par l’Union européenne, n’a eu aucun acquis dans les domaines souhaités. L’objectif plus vaste de l’Union européenne, c’est-à-dire la modération du régime iranien, avec beaucoup de bonne volonté et une certaine persévérance et un certain courage que l’Union européenne a menée pendant un certain nombre d’années, n’a jamais atteint ses objectifs, au contraire.

 

Aujourd’hui, nous assistons au règne total des durs extrémistes sur l’ensembles des leviers du pouvoir en Iran. Je pense que le moment est venu d’adopter une politique plus ferme à l’égard de ce qu’on peut appeler des ayatollahs en Iran. On peut considérer que l’arrêt total de l’enrichissement d’uranium est une ligne rouge que les négociations avec Téhéran devraient amener à ne pas transgresser, toute concession dans ce domaine aura des conséquences catastrophiques. Et quand on s’aperçoit que pendant des années ces évolutions dans la domaine du nucléaire ont pu être dissimulées, on se dit que quelque chose ne marche pas dans les mécanismes de contrôle. Nous devons continuer à insister sur les quatre critères que j’ai mentionnés tout à l’heure, et exiger du régime iranien des pas concrets dans ce sens.

 

Il ne faut pas se faire trop d’illusion, il faut toujours inlassablement demander la défense des droits de l’homme, même si on sait qu’il n’y aura pas beaucoup de résultats. Sans un progrès tangible dans se sens on ne peut pas évoquer le développement de relations politiques ou commerciales avec ce régime. Il faut maintenir ce qui est à la base de nos principes dans les régimes démocratiques, c’est-à-dire cette exigence, même s’il y a des cultures différentes. Les intérêts de la France dans une perspective politique et économique, mais aussi sur le plan de notre sécurité et celle de nos amis dans la région, sont subordonnés à une évolution démocratique en Iran. La France devrait se placer aux cotés des Iraniens et soutenir un changement démocratique dans ce pays, du fait de son passé historique,du fait que la France est l’un des pays à la base de la construction de l’Union européenne, ça constitue un point suffisant pour faire avancer une initiative sérieuse, un initiative qui pourrait garantir une meilleur avenir pour les Iraniens, mais également la paix et la tranquillité dans la région du Moyen-Orient et le renouveau des relations anciennes d’amitiés entre l’Iran et l’Europe et surtout particulièrement entre l’Iran et la France.

 

Je dois dire ici que je soutiens les efforts des Iraniens épris de liberté pour instaurer la démocratie, le respect des droits de l’homme et instaurer un régime laïc en Iran. J’ai rencontré récemment Madame Maryam Radjavi. J’ai pris connaissance de ses idées et du travail très important qu’elle avait accompli ces dernières années et j’estime que ses efforts et ceux du Conseil national de la résistance iranienne méritent notre soutien. Vous savez, nous savons nous Français d’après notre expérience, que ceux qui résistent sont ceux qui sont à l’étranger et qu’ils ont toujours des difficultés pour se faire reconnaître. Nous devons bien écouter ce qui est dit par ces résistants, nous devons les aider, les accueillir avec de l’amitié et nous savons que l’avenir des relations entre la France et l’Iran passe par le respect de ces valeurs.

 

On ne peut pas indéfiniment tenir un discours et puis se voir contester ce discours ouvertement dans les mots et dans les actes et ne pas en tenir compte. Je souhaite bien sûr le retour le plus rapide de l’Iran dans la grande famille des nations, pour que ce pays puisse redevenir ce qu’il a toujours été, c’est-à-dire incontestablement le berceau d’une très ancienne et très riche civilisation, dont la communauté internationale à besoin, que la communauté internationale respecte profondément, en particulier la France. La France a le plus grand respect pour cette grande civilisation, pour ses traditions, pour tout ce que l’Iran a toujours véhiculé sur le plan de la sagesse et de la philosophie, des lettres, des arts, de la connaissance. Je crois pouvoir dire, même si je ne m’exprime ici qu’en mon nom personnel, que je pense effectivement en tant que Française accorder une attention beaucoup plus grande à ce qui se passe dans ce pays. C’est la raison pour laquelle vous avez organisé cette réunion aujourd’hui, encore une fois je vous en remercie, je vous en félicite et je vous encourage à poursuivre ces efforts.